L'échelle de conscience organisationnelle

Une échelle pour comprendre l'évolution des organisations. Du désengagement à la sagesse collective, découvrez comment les entreprises peuvent se transformer en un lieu où il fait bon vivre, créer et grandir ensemble.

L'échelle de conscience organisationnelle

Lorsqu'on observe le monde des organisations, on voit des réalités radicalement différentes. Certaines entreprises considèrent leurs collaborateurs comme de simples ressources à optimiser, dans une quête de rentabilité maximale. D'autres portent attention à la qualité de vie au travail, cherchant un équilibre entre performance et bien-être.

Et puis il y a celles qui vont plus loin encore : elles questionnent en profondeur ce qu'est une organisation, elles cherchent à comprendre les dynamiques individuelles et collectives pour créer des organisations où il fait bon vivre, dont l'existence-même est une bénédiction pour l'ensemble des acteurs qui interagissent avec elles.

Dans cet article, je propose une grille de lecture permettant de mieux comprendre ce qui est à l'œuvre dans les organisations, pour mettre des mots sur ce qui est vécu, et éventuellement poser des actes pour se rapprocher de ce que nous souhaiterions vivre dans nos organisations.

La démarche est simplement de proposer un chemin, qui part du modèle d'entreprise le plus courant de notre époque, et qui va vers une forme d'organisation vers lequel nous souhaiterions collectivement aller.

L'évolution des attentes

Quelque chose est en train de changer dans le monde du travail. De plus en plus de personnes ne se contentent plus d'un salaire et d'une stabilité. Elles souhaitent vivre pleinement leur vie. Elles veulent faire une activité où elles se sentent libre, qui fait sens pour elles, qui soit épanouissante et qui leur donne de l'énergie. Les postes rigides à horaires fixes sont trop contraignants et ne sont plus compatible avec la direction réellement souhaitée.

Les personnes qui l'acceptent encore le font parce qu'elles ne voient pas comment faire autrement, et qu'elles ont besoin d'argent pour vivre. Mais à quel prix ? Et pour combien de temps ?

De nouvelles formes d'activités voient le jours : montée de l'entrepreneuriat, indépendant, Freelance, business en ligne, bien-être, coaching, développement personnel, etc. Ce qui est recherché est de devenir créateur de la vie de ses rêves. Mais ces modes de vie ont souvent un prix : la solitude, tout faire tout seul.

D'autres groupes cherchent de nouvelles formes d'organisations, comme les coopératives, les tiers-lieux, les habitats participatifs et écolieux, mais se confrontent souvent à des difficultés relationnelles, des prise de pouvoir par certains, de résistances, et il est parfois difficile de prendre pleinement sa place et rayonner, tout en avançant avec d'autres.

Une question se pose alors : Et s'il était possible d'être créateur de sa vie, tout en faisant partie d'une organisation qui est au service de l'évolution de tous ses membres ?

Et donc : Comment créer des organisations désirables, permettant à chacun d'être créateur de sa vie, de vivre une vie épanouissante, tout en étant entouré de personnes qui vont dans le même sens, qui œuvrent ensemble dans un but commun ? Comment répondre réellement aux nouvelles attentes ? C'est le sujet que nous abordons ici.

Le niveau de conscience organisationnelle

Tout d'abord, cherchons à comprendre ce qui est à l'oeuvre et définit l'expérience vécue dans une organisation.

Une entreprise est avant tout un groupe de personnes qui agissent ensemble dans un but commun. Chaque personne vient avec son vécu, ses habitudes, et sa manière de voir les choses. Elle a une conception du réel qu'elle considère comme normal.

Lorsqu'un groupe se forme, chaque membre influence le collectif avec sa propre vision du monde. De ces multiples représentations individuelles émerge naturellement une représentation partagée de ce qui est considéré comme normal. Cette représentation collective forme ce qu'on appelle la conscience collective du groupe, qui est une sorte de moyenne des consciences des membres du groupe. Celle-ci évolue au fil des interactions, arrivées, départs, et expériences vécues ensemble.

Dans une organisation, chaque collaborateur influence la conscience collective par sa simple présence et sa manière d'être. Cependant, certaines personnes prennent naturellement plus de place que d'autres et jouent un rôle déterminant dans la vie de l'entreprise.

Les dirigeants ont généralement l'influence la plus visible et la plus forte sur la conscience collective — par leurs décisions, leur posture, leur niveau d'écoute de soi et de leur entreprise. Mais certains membres de l'équipe peuvent également exercer une influence majeure, parfois de manière plus subtile : par leur présence, leur capacité à créer du lien, leur ancrage, ou leur rayonnement naturel.

Avec l'expérience, j'ai identifié différents stades de maturité collective, avec un parcours logique, qui peut être assimilé à un cheminement de conscience parcouru individuellement et collectivement. Les principaux critères utilisés pour créer ces stades sont :

  • Le niveau de conscience : la capacité à écouter ce qui vit en soi, à sentir ce qui est à l'œuvre en soi et autour de soi, et à agir en étant aligné. Cette reliance à soi a une influence déterminante sur ce qui est vécu collectivement. Plus les membres d'une organisation sont connectés à eux-mêmes et sont valorisés pour cela, plus la conscience collective s'élève.
  • Le niveau d'amour : La qualité de présence, de soin et d'attention portée à soi, aux autres, et au projet collectif. Cela se manifeste par la capacité à accueillir ce qui est, à respecter les différences, à créer un espace où chacun peut exister pleinement. Plus cette dimension est présente, plus l'organisation devient un lieu de vie épanouissant.
  • Le niveau de maturité : La capacité à gérer les tensions de façon constructive, à prendre sa juste place sans écraser ni s'effacer et à communiquer de manière authentique. Cette maturité permet de passer de relations déséquilibrées ou infantilisantes à des relations entre adultes responsables et co-créateurs.

Dans la plupart des organisations, ces critères sont ignorés. De nombreux symptômes apparaissent : désengagement, turnover, conflits, mauvaise ambiance, inertie, créativité étouffée. Ceux qui cherchent du sens et de l'alignement s'en vont.

Pourtant, il existe un chemin d'évolution. Ces trois dimensions se développent progressivement lorsqu'on les intègre dans la culture d'entreprise. Chaque membre trouve alors un espace où grandir en conscience et influence le collectif vers plus de maturité. C'est ce chemin d'évolution que décrit la pyramide de conscience organisationnelle.

Explorons maintenant chacun de ces stades en détail.

Les stades de conscience organisationnelle

Stade 1 : l'entreprise mécanique

À ce stade, l'entreprise est vue comme une machine à produire des résultats. L'objectif est clair : performer, produire, générer du chiffre d'affaires et du profit. Les collaborateurs sont recrutés pour remplir des fonctions précises, exécuter des tâches définies. Ils sont considérés comme de la force de travail, des ressources humaines au sens littéral du terme.

Il y a peu ou pas de considération pour ce qui intéresse réellement les collaborateurs, pour leurs aspirations personnelles, pour ce qui les fait vibrer. Ils sont là pour faire le travail pour lequel ils sont payés. La relation est transactionnelle : temps et compétences contre rémunération.

Les forces de ce modèle : clarté des rôles, efficacité d'exécution, prévisibilité des résultats. Dans des contextes où l'exécution rapide et standardisée prime, ce modèle peut être très performant à court terme. Les process sont définis, chacun sait ce qu'il a à faire, la hiérarchie est claire.

Les limites apparaissent progressivement : turnover élevé, difficulté à attirer et retenir les talents, désengagement croissant, absence d'innovation. Les collaborateurs font le minimum, sans s'investir réellement. L'énergie retombe. La créativité ne trouve pas d'espace pour s'exprimer.

Ce qui appelle l'évolution : La prise de conscience que prendre soin de l'humain est aussi un levier de performance durable. Le turnover, les arrêts maladie et le désengagement coûtent bien plus cher que l'investissement dans le bien-être des équipes. La considération portée aux collaborateurs génère engagement, fidélité, et finalement de meilleurs résultats. La dimension humaine cesse d'être perçue comme une simple question d'éthique pour devenir un facteur stratégique.

Stade 2 : l’entreprise patriarcale

À ce stade, l'entreprise prend soin de ses salariés, et veille à ce que l'ambiance soit humaine. Les dirigeants connaissent les collaborateurs, se préoccupent de leur bien-être et de leurs conditions de travail. Ils gèrent "en bon père de famille", créant une atmosphère de proximité et de considération. Ce soin est sincère et représente un progrès majeur par rapport à la vision purement mécanique.

L'entreprise devient un lieu où les personnes comptent, où on célèbre les anniversaires, où le dirigeant prend des nouvelles, où une forme de chaleur humaine se développe. Il y a un réel souci du bien-être des équipes.

Les forces de ce modèle : fidélité des collaborateurs, stabilité des équipes, ambiance chaleureuse, sentiment d'appartenance fort. Les personnes se sentent considérées et développent un attachement sincère à l'entreprise et à son dirigeant.

Les limites apparaissent progressivement : ce stade opère encore largement depuis des schémas inconscients. La relation reste asymétrique, de type parent-enfant. Le dirigeant bienveillant prend les décisions importantes, protège ses équipes, mais peut involontairement brider leur autonomie et leur initiative. Une forme d'infantilisation se crée, même si l'intention est bonne. Les collaborateurs attendent que le "père" décide, valide, oriente. La dépendance affective peut devenir pesante.

Ce qui appelle l'évolution : La prise de conscience que le soin ne suffit pas si l'activité en elle même a peu de sens. Que les collaborateurs aspirent à comprendre pourquoi ils font ce qu'ils font, à contribuer à quelque chose qui a du sens pour eux, et est bénéfique pour le monde. Le besoin émerge de donner une raison d'être plus grande à l'organisation.

Stade 3 : l’entreprise à mission

À ce stade, l'organisation se donne une raison d'être qui dépasse le simple profit. C'est la mission de l'organisation qui rassemble les dirigeants et les équipes. L'entreprise existe pour servir quelque chose de plus grand : un impact social, environnemental, ou sociétal. Cette mission devient la boussole qui oriente les décisions et fédère les énergies.

Les collaborateurs ne viennent plus seulement pour un salaire ou pour une bonne ambiance. Ils viennent parce qu'ils adhèrent à la mission, parce qu'ils veulent contribuer à cette vision. Le travail prend du sens, l'engagement s'approfondit.

Les forces de ce modèle : engagement fort des équipes, clarté de la direction, capacité à attirer des talents alignés avec la mission, fierté d'appartenance. La mission crée du lien et donne une raison profonde de s'investir. Elle permet aussi de faire des choix difficiles en restant cohérent.

Les limites apparaissent progressivement : La mission inspire, mais les pratiques restent contraignantes. Hiérarchie rigide, horaires fixes, postes cloisonnés, process lourds. Les relations de pouvoir demeurent asymétriques : certains décident, d'autres exécutent. Les collaborateurs veulent s'investir pleinement dans la mission, mais se heurtent à des cadres trop rigides qui limitent leur initiative et leur créativité. Le sens est là, mais la liberté d'action manque.

Ce qui appelle l'évolution : Réaliser que la mission seule ne suffit pas. Que les collaborateurs veulent non seulement du sens, mais aussi de la liberté pour l'incarner. Que les schémas traditionnels de management (hiérarchie rigide, contrôle, process figés) freinent l'expression de ce que les collaborateurs pourraient réellement apporter. Le besoin émerge de déconstruire ces schémas pour libérer le potentiel.

Stade 4 : l’entreprise libérée

À ce stade, l'organisation met la notion de liberté au cœur de son fonctionnement. Elle remet en question les pratiques traditionnelles de management : hiérarchie pyramidale, contrôle, validation à plusieurs niveaux, horaires fixes. L'objectif est de libérer le potentiel et la prise d'initiative des membres de l'équipe.

L'entreprise déconstruit activement ses anciennes pratiques. Elle fait le tri entre ce qui est réellement souhaité et ce qui n'a plus sa place. Les équipes gagnent en autonomie, les process s'allègent, les espaces de décision s'élargissent. C'est une phase de questionnement profond et de transformation des modes de fonctionnement.

Les forces de ce modèle : libération de la créativité, responsabilisation des équipes, agilité accrue, capacité d'innovation. Les collaborateurs peuvent enfin prendre des initiatives, expérimenter, proposer. L'énergie remonte. Les talents qui cherchent de l'autonomie sont attirés par ce modèle.

Les limites apparaissent progressivement : la déconstruction peut créer du vide. Enlever les anciennes règles sans avoir construit de nouveaux repères génère parfois confusion et insécurité. La liberté peut être vécue comme anxiogène pour ceux qui ont besoin de cadre. Par ailleurs, la libération des structures ne garantit pas que chacun soit connecté à ce qui est réellement vivant en soi. On peut être libre de choisir sans pour autant savoir ce qu'on veut vraiment, ce qui résonne au plus profond.

Ce qui appelle l'évolution : La prise de conscience que la liberté seule ne suffit pas si les personnes ne sont pas à l'écoute d'elles-mêmes. Que déconstruire les anciennes règles est une étape, mais qu'il faut maintenant cultiver l'écoute intérieure. Que la vraie libération vient de la capacité à sentir ce qui est vivant en soi et à agir en alignement avec cela.

Stade 5 : l’entreprise vivante

À ce stade, l'entreprise guide les collaborateur à sentir ce qu'il veulent vraiment. La conscience de soi et le développement intérieur devient centrale dans la culture d'entreprise. Chaque membre de l'équipe est invité à se connaître, à s'écouter, à identifier ce qui résonne vraiment en lui. Les blocages traumatiques et mécanismes de protection sont accueillis en conscience et accompagnés. Les projets et missions sont choisis non pas par obligation ou par stratégie imposée, mais parce qu'ils font écho à quelque chose de profond chez ceux qui les portent.

L'organisation crée un espace où chacun peut explorer ce qui l'anime, cheminer intérieurement, exprimer ses élans, et choisir de s'investir là où il se sent vivant. Les équipes se constituent naturellement autour de ce qui résonne collectivement. La connexion à soi devient une compétence valorisée et cultivée.

Les forces de ce modèle : engagement profond, alignement authentique, énergie durable. Les personnes ne font plus semblant, elles sont pleinement présentes à ce qu'elles font. La créativité s'exprime naturellement. Les burnouts diminuent car chacun respecte ses limites et ses besoins. L'authenticité devient la norme.

Les limites apparaissent progressivement : Les structures peinent à suivre le rythme du vivant. Les contrats de travail restent rigides, les équipes figées, les périmètres définis à l'avance. Or, les élans évoluent, les besoins changent, les projets se transforment. Adapter les équipes en temps réel, réviser les contrats pour refléter les nouvelles aspirations, réorganiser les collaborations selon ce qui émerge : tout cela reste complexe. Par ailleurs, la coopération demande une maturité que tous n'ont pas encore. Écouter ses élans ne garantit pas de savoir coopérer avec ceux des autres. L'organisation cherche encore sa fluidité.

Ce qui appelle l'évolution : La prise de conscience que l'écoute de soi ne suffit pas si elle ne s'articule pas avec l'écoute du collectif. Que la maturité collective émerge lorsque chacun sait à la fois s'écouter et écouter les autres, se respecter et respecter le groupe. Que quelque chose de plus grand peut émerger lorsque les élans individuels se mettent au service d'une intelligence collective.

Stade 6 : l’entreprise organique

À ce stade, l'organisation fonctionne comme un organisme vivant. L'activité et la structure même de l'entreprise sont définies par ce qui est vivant collectivement. Chaque membre est mature, s'écoute et écoute les autres, se respecte et respecte le groupe. Chacun prend soin de soi, des autres, et du projet collectif.

Les décisions émergent naturellement des échanges, les équipes se reconfigurent fluidement selon les projets, les contrats s'adaptent aux élans. Il n'y a plus besoin de règles rigides car la maturité relationnelle permet une autorégulation organique. L'écoute de ce qui est vivant en chacun génère agilité, efficience et robustesse.

Les projets naissent et grandissent naturellement, portés par la sagesse collective. La légèreté, la fluidité et l'enthousiasme deviennent la norme. L'organisation respire, s'adapte, évolue sans friction.

Les forces de ce modèle : performance naturelle, adaptabilité organique, bien-être durable, innovation continue. L'organisation atteint un équilibre dynamique où efficacité et épanouissement ne s'opposent plus mais se nourrissent mutuellement. Les talents ne partent plus car ils trouvent ici un espace unique de co-création et de croissance.

Les limites : Ce stade demande une maturité collective rare qui peut être difficile à maintenir. L'organisation rayonne et attire naturellement de nombreuses personnes. Comment rester ouvert sans diluer la qualité du champ collectif ? La question de la porosité devient centrale : une membrane trop rigide isole l'organisation du monde, une membrane trop perméable risque de diluer ce qui a été construit. L'équilibre est subtil. Par ailleurs, l'entreprise peut cultiver son harmonie interne sans pour autant rayonner à pleine puissance sa contribution au-delà de ses frontières.

Ce qui appelle l'évolution : La prise de conscience que l'impact peut s'amplifier sans sacrifier la qualité. Que l'organisation peut accueillir de nouvelles personnes alignées en s'appuyant sur la maturité collective déjà présente. Que la croissance peut être structurée de façon organique, sans créer de goulots d'étranglement ni perdre en fluidité. Que rayonner sa contribution à plus grande échelle devient possible lorsque l'efficacité organisationnelle rejoint la sagesse collective.

Et au delà ?

Cette pyramide décrit 6 stades d'évolution observables dans le monde des organisations. Mais le chemin ne s'arrête pas nécessairement là.

Il existe un 7ème stade possible, où l'organisation dépasse la logique de ses propres intérêts pour se mettre véritablement au service du monde. À ce stade, chaque membre comprend que l'organisation fait partie d'un écosystème plus vaste — l'humanité, la vie, la planète. Les décisions sont prises en tenant compte de cette interdépendance. L'impact devient global, systémique, régénératif.

C'est une vision qui demande à être explorée plus en profondeur. Pour ceux qui ressentent cet appel, un article sur ce 7ème stade est accessible aux membres du blog (inscription gratuite).

[Lien vers l'article (à venir)]